Un portrait

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Une réédition d’un texte de 2016, en hommage à une personne disparue en ce début d’année.

Petite, frele, fragile, perdue, perdue en elle meme et perdue aux milieu de ses compagnons d’infortune, ces gens proches qui pourtant demeureront toujours des inconnus les uns pour les autres, assise à longueur de journée sur une chaise, ceinturée, recroquevillée, le corps perclus de spasmes et les yeux qui quand ils ne sont pas fermés sont dans une fébrile et désespérée quete ou peur du moindre mouvement, du moindre signe, elle attend…!

Elle attend et se promène, elle se promène dans ces restes de souvenirs, ces noms de frères, père, mère, mari ou fils, ces bribes de vieux univers perdus depuis si longtemps et qui pourtant dans leur tourbillon infini lui tiennent lieu de réalité, une réalité fébrile, vertigineuse dans laquelle son esprit l’enferme, quelque fois, un mot, un nom, un lieu parvient à franchir la frontière de son langage désarticulé, il s’échappe comme un cri, un appel de détresse et s’évapore, éclate dans l’air comme une bulle de savon qui contiendrait toute la poésie d’une vie…!

Elle attend que passe le temps, que passe ce temps qui ne passe plus, qui n’est plus qu’une torturante suite de secondes aussi inutiles les unes que les autres, ce temps qu’elle ne comprend plus, dans lequel elle n’est plus et qui pourtant est tout ce qui lui reste, ce temps qui l’a condamné à l’oubli, ce temps qui l’a condamné à s’épuiser dans la ronde de ces petits pas dans des couloirs devenus des chemins, des routes, des rues…!

Les rues de l’enfance, de la guerre, du travail, de Paris ou d’ailleurs, les rues de toute une vie, cette vie qui ne cesse de tourner en rond dans un esprit emprisonné, condamné à voir défiler en lui des images qui ne font plus sens, mais qui occupent tout l’espace des jours et des nuits, ces images d’un reve permanent, d’un cauchemar aux yeux grands ouverts duquel elle ne peut s’évader…!

Elle attend, dans le silence triste des paroles qui ne peuvent plus dire, ce silence qui ne se rompt plus qu’au travers des plaintes douloureuses ou des chocs hagards de tous ces destins, de toutes ces histoires qui s’entrecroisent dans un lent, maladroit et perpétuel mouvement aux accents Beckettiens, au milieu de ces mots épars qui ne se comprennent pas mais qui pourtant se parlent, se rassurent, se consolent ou se disputent, le corps agité à force de ne pouvoir bouger, les mains crispées, agrippées à une ceinture qui ne s’ouvrira pas, face à une table vide de tout, elle attend…!

Parfois, souvent, chaque jour, quelqu’un vient s’assoir près d’elle, lui dit bonjour, la regarde, simplement sans chercher à s’obliger ni à parler fort ni meme forcément à rire ou sourire, chaque jour, quelqu’un vient juste s’assoir près d’elle comme on s’assoit à la table d’un bistro où l’on vient de croiser une connaissance, chaque jour quelqu’un prend le temps, le temps de la voir, le temps d’etre là, le temps de lui dire qu’elle est là…!

Alors elle n’attend plus, alors le corps abandonne ses spasmes, alors ses yeux s’ouvrent, d’abord ils s’écarquillent comme étonnés que l’on s’adresse à eux puis s’habituent à dialoguer à nouveau, ils se focalisent, ils se posent sur ce regard qui en face d’elle lui dit je t’écoute, alors dans un balbutiement incompréhensible à qui ne sait pas l’entendre, elle raconte, elle raconte ce qu’elle voit, elle raconte ces reves interminables qui hantent son esprit, elle raconte ce qu’elle ressent, elle raconte sa vie…!

Elle raconte, toujours dans cette langue qui dira bla bla au plus prosaique, qui évoquera un mystérieux chant semblable à celui du merle ou de l’hirondelle que seule l’imagination parviendrait à déchiffrer au plus poétique et que l’empathie cherchera simplement à comprendre, mais elle raconte, ce qu’elle voit, a vu, ce qu’elle ressent, ses douleurs, ses joies, ses attentes, elle désigne des coins, parle de matin, parle des autres, oui, elle raconte…!

Elle raconte ce qui fait sa vie, ses émotions et apaisée d’etre entendue, heureuse d’etre écoutée elle plonge son regard dans celui qui ose etre complice, dans celui qui ose dire je sais, dans celui qui ose dire la maladie n’est pas la fin de tout, dans celui qui ose dire ça ne fait pas très normal tout ça mais je m’en fous, je ne suis pas là pour ça et semblant comprendre, semblant ressentir cette vérité là, elle sourit et ce sourire simple, ce sourire complice, calme et beau illumine et rend toute sa dignité à un visage que la maladie martyrise…!

Elle raconte et elle écoute, elle écoute chacun de ces mots que l’on veut lui accorder, chacun de ces mots qu’elle reçoit comme un cadeau, elle écoute et sourit, elle sourit encore, comme pour dire merci et serre une main dans la sienne, elle serre une main et s’aventure à s’attarder sur le dessin d’un bras, sur les contours d’une montre, les doigts qui bougent sont une aventure mais le merci venu d’on ne sait quel inconscient est là et les gestes saccadés retrouvent leur calme, les doigts leur dextérité et le plus naturellement du monde elle tourne une à une les pages d’un magazine ou prend ce verre d’eau qu’elle ne peut plus prendre…!

Elle écoute et parait profiter de chacun de ces mots qui semblent etre le plus beau des trésors, ces mots dont pourtant on ne peut quasiment jamais savoir s’ils sont les bons, si ils répondent aux siens ou si ils tombent à coté, ces mots dont on ne sait meme pas si ils sont compris, mais ces mots dits sur tous les tons naturel, du plus sérieux au plus riant, ces mots qui sont peut etre, sans doute plus une musique qu’autre chose, une musique dont la mélodie ne veut exprimer qu’une chose, je suis là, tu es là, importante, vivante et puis la vie elle aussi est là, c’est ce qui compte…!

Elle écoute et oui, elle vit…simplement elle vit, l’espace d’un instant, d’une heure elle n’est plus ni frele, ni petite ni fragile, elle n’est plus perdue dans un monde incompréhensible, elle est en relation, en lien avec quelqu’un qu’elle sent bienveillant et elle discute, dans un langage qui restera secret à la plupart mais qu’il suffit d’apprendre elle exprime ses tracas, ses joies, ses étonnements, elle oublie la chaise, la table et la ceinture, pendant une heure elle est quelqu’un qui sait qu’elle existe encore, quelqu’un qui est heureuse d’etre comprise, qui est heureuse d’exister et de partager, durant une heure elle est au monde…Et ce cadeau que je semble lui faire, c’est elle qui me le fait…!

Elle me fait un cadeau extraordinaire, elle me montre que le courage c’est de vivre, qu’il y a toujours un sens, une beauté à exister, elle me donne ma force et elle m’apprend, elle m’apprend ce qu’est vivre, ce qu’est résister, elle m’apprend à accepter, à respecter et à aimer l’émotion et la sensibilité qui sont en moi, à ne plus en avoir peur, elle m’apprend à ne jamais désespérer et à comprendre ce qu’est l’espoir, elle m’apprend la préciosité que possède un lien humain, elle m’apprend à etre ce que je suis…Un jour, c’est elle qui m’a donné la vie et meme maintenant, meme là elle m’apprend toujours à vivre, c’est une mère…!

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